samedi 8 février 2014

Quique Dacosta, Dénia


Mon rêve gastronomique pour 2013 était de venir chez Quique Dacosta à Dénia à une heure de route d’Alicante et probablement le même temps si l’on vient de Valence. Venir à Dénia….cela veut dire faire spécifiquement le voyage car il y avait peu d’espoir que je vienne dans les parages pour passer des vacances de type « Bénidorm » car vraiment l’endroit vu de loin me semble être ce qu’il y a de plus vilain sur un bord de mer.

Mais Dénia est une jolie petite ville dans laquelle vous n’apercevrez aucun gratte-ciels. Un peu à l’écart en longeant le bord de mer en direction de « las Marinas », vous ne manquerez pas de trouver le lieu où Quique à progressivement gravi les échelons et est aujourd’hui l’un des plus grands cuisiniers d’Espagne et assurément au monde. Trois étoiles au Michelin depuis Février, ce fut une incroyable expérience qui sera plutôt difficile à décrire tellement l’on en ressort éblouis et peut-être même transformé! Quique Dacosta n’est pas simplement « un autre chef » et ne copie personne. Certes les influences de Ferran et autres Rocca sont la mais c’est plutôt dans l’idée d’innover et de révolutionner la cuisine ; de participer a cette mouvance culinaire mondiale qui balaie les grands tables classiques. « Cuisine version 4.0 » ? Probablement quelque chose comme cela...

Pas de la « nouvelle cuisine », pas de moléculaire ou « techno émotionnel », mais quelque chose de tout à fait personnel, d’unique, de vraiment génial ! Car Quique…est un génie.





Arrivé devant sa maison, on se demande s’il s’agit d’une église ou peut être même d’une hacienda. Il y a quelque chose de très hispanique dans la l’architecture blanche de cette belle maison qui n’est peut-être pas aussi grande que l’on s’imagine. 



Toute blanche, des plantes exotiques dans l’allée, des statues et vous voici immédiatement accueilli avec le sourire. Et j’insiste sourire…car même si cela semble naturel et bien c’est plutôt rare dans ce genre d’établissement où généralement le service pourrait être ostentatoire. On vous parlera la langue que vous souhaitez car le personnel a probablement du suivre des écoles Berlitz ou alors le service a été soigneusement été sélectionné. Didier le maitre de salle nous accompagnera tout au long de cette merveilleuse soirée ; une personne d’une grande gentillesse et avec une énorme connaissance de la gastronomie et évidemment des plats du chef. Ancien maitre de salle pendant de nombreuses années du Fat Duck, ce fut un moment vraiment magnifique que d’être conseillé par lui tout au long d’un repas.







Ici, il n’y a que deux choix….Menu 1..et Menu 2 ! Soit 45 plats, soit 55 plats… Oui vous avez bien lu ! Mais quand je dis plats, je devrais plutôt dire mets. Le Menu 1 « Universo Local » est le menu de traditions, classiques et historiques. Plus de dix années de plats « signatures ». Le Menu 2 « Made in the moon » (165 Euros) est le menu d’avant-garde espagnole. C’est ce dernier que nous avons retenu après longue hésitation. Je tiens tout de même à signaler qu’il est tout de même recommandé de ne pas déjeuner si vous y allez le soir…

A préciser qu’il vous est offert un calepin dédicacé par Quique avec l’histoire de l’établissement, des feuilles blanches et crayon ; le menu en français si vous le souhaitez. Une délicate attention tout à fait remarquable.

Il sera extrêmement difficile de décrire 55 mets et cela pour plusieurs raisons indépendamment du fait que cela pourrait prendre des pages et des pages mais ce qu’il faut en retenir en sont les choses suivantes. Il s’agit le plus souvent de bouchées et non de plats conventionnels. Souvent plusieurs mets sont amenés en même temps. Ensuite, je ne me rappelle pas d’avoir utilisé souvent de couverts car comme il s’agit de « bombes dans la bouche », il est impensable d’apprécier le génie de chaque met sans prendre le tout d’une seule bouchée, ce qui rend impossible l’utilisation d’une fourchette ou cuiller et encore moins d’un couteau. Le menu est orchestré comme un opéra ou une symphonie avec des « actes » ! Quatre heures passées à table avec jamais un seul moment d’ennui. Émotion, émerveillement et presque les larmes aux yeux…. C’est une cuisine qui est tout d’abord très esthétique, pleines de textures, de saveur et de gourmandise. J’ai eu l’occasion d’approcher des concepts similaires mais souvent cela tombait un peu dans le ludique. Ici tout est simplement parfait, pensé, parfaitement séquencé et structuré. On passe du salé au sucré, puis de l’acide à de l’amertume, du croustillant au moelleux et tout cela avec une maitrise inimaginable si l’on ne vient pas constater par soi-même. C’est beau, c’est merveilleux, et puis c’est vrais…c’est « made in the moon »… Vous ne mangerez jamais cela nulle part ailleurs…



C’est sur la très belle terrasse que démarre cet opéra avec le premier acte appelé « Snacks ». Assis dans un moelleux sofa face à la très belle véranda avec ses sofas blancs, vous voici servi des pétales de rose et un gin tonic à la pomme. Une vraie fleur mais en son centre des pétales de pommes rouges… On prend ceux-ci avec des brucelles et buvons une gorgée rafraichissante de ce breuvage à la pomme légèrement gazeux. Il s’agit de pomme imprégnée au vinaigre de framboise et grenadine.




Arrive une boite avec des cailloux noirs brillants… Sur le dessus, deux pierres à la même apparence mais au parmesan…Cela croque comme un chocolat avec une mousse parfumée au fromage.



Une planche en bois est présentée avec six sortes de feuilles ! Racine de cèpes, feuille Dubonnet, feuille sèche de maïs, feuille d’herbes en escabèche, feuille de pomme, feuille de châtaigne. Imaginez certaines feuilles réalisées sous forme de bricelet extrêmement fin ou alors de vraies feuilles extrêmement odoriférantes ; certaines avec une réduction de vermouth comme la Dubonnet ou quelques épices sur le dessus. Un jeu de textures et saveurs magistral.



Nous passons vers les cotés marins avec un escargot de mer avec dans le fond du coquillage un jus réduit et le lichen marin qui est une incroyable association de textures et saveurs iodées. 



Un champignon-éponge rendu croustillant, mini-enoki, ciboulette et une mayonnaise miso.



Arrivent quatre petites tomates sur un jardin de pierres : tomate au vinaigre avec un clin d’œil bien ibérique, tomate au vinaigre sec croustillante en bouche.


Autre curiosité, le Rameau de pasteur, une sorte de plante grasse locale qui a mariné dans un vinaigre dont l’on ne déguste que l’extrémité comme une pointe d’asperge.



Et l’algue douce qui se présente comme une chips rouge que l’on trempe dans une émulsion de codium, une autre algue réduite sous forme de crème fortement iodée.




Une fois que ces incroyables « snacks » seront dégustés, vous serez invité à passer à l’intérieur ou votre table vous attend. Une salle plutôt sobre avec de belles porcelaines et des tables à huit pieds que je qualifierais de dénudées…Pas de nappes mais un simple espace de dégustation. Pas de superflu…j’ai aimé cette approche.









L’acte deux s’appelle « Tapas ». Et cela démarra avec une cuiller dans laquelle se trouve une décoction très parfumés sur laquelle des lamelles de loup de mer se trouvent. Un voyage dans les saveurs péruviennes. 



Puis le grand passerage ; une feuille de plante vivace sur laquelle est déposé un tronçon de maquereau. La feuille a un goût entre le wasabi et le raifort. 


Le nid de tourterelle est une sphère au goût magique de truffe déposé sur un lit de cheveux d’anges. 



Le pesto, une crêpe présentée verticalement avec un concentré magnifique des saveurs de basilique, pignons et parmesan. 



Le moshi de fromage bleu et miel à l’aïoli ; une bouchée comme un cake de riz avec des saveurs déroutantes.



Le cristal d’amandes ; une fine feuille croustillante à base d’amande sur laquelle se trouve une crème également à l’amande.



L’extraordinaire crêpe de fraise ; une feuille croustillante avec des tronçons de fraises vinaigrés et sucrés, le tout d’un rouge flamboyant.




Arrive un charriot de glaces…et l’on vous servira une crème glacée chaude ! Caramel de volaille et cornet à la truffe. Le bricelet est écrasé et déposé sur une quenelle tiède à base aussi de truffe et de vanille. Je crois rêver…




La tarte à la pomme, en réalité une fine meringue de pomme avec un granité campari donnant un coup de fouet magistral en bouche.



La raviole de crabe et betterave est d’une très grande beauté, posée majestueusement sur une pierre. Il s’agit en réalité d’une tranche de betterave travaillée comme une raviole et farcie du crustacé.



Le tartare de couteau et son jus marin au citron vert présenté dans la coquille.



Le ceviche d’oursin avec un délice herbacé nous ramène aux éléments marins.


Le tacos méditerranéen qui vous emmènera quelques cours instants au Mexique.



La coca de maïs, un autre moment de bonheur avec son coté doré et croustillant.



La pigne de pin, pignon et résine ; la reconstitution comme d’un chocolat mais avec une crème au foie gras qui explose dans la bouche, la résine que l’on suce pour compléter l’harmonie des saveurs. 




L’os a moelle et miettes, une crème proche d’un flan mais adoucie avec la moelle et le coté croquant des brisures de pain.



L’explosion ibérique qui est un cromesquis ; on croque dans la boule et un jet de saveur incroyables vous innonde le palais, des bouillons mélangés de pluma, de jambon pata negra et sur le dessus deux fines lamelles de gingembre pour corser le tout.



Troisième acte, les « plats ». Cela commence avec une très belle association de kéfir, cèleri, aneth et vodka. En dessous des clams, des graines de moutarde et sur le dessus les associations végétales et citronnées.



La protéine d’huitre est une fantastique association d’huitre Gillardeau avec une crème battue d’huitre et de poussière d’iode ! Le grand large en trois bouchées. On accompagne le tout de quelques petits biscuits classique en Espagne appelés picos, enveloppés dans une feuille d’algue.




Puis arrive la gamba : bouillie – Thé de gambeta et blettes. Une pochette surprise rouge dans laquelle se trouve une merveilleuse crevette de Palamos, probablement les meilleures qui existent. On la déguste avec toute sa fraicheur et l’on se gargarise d’un verre de thé parfumé au jus de la gamba avec une décoction de blette sur le dessous.



La Ventrèche Txipiron est un « faux calamar » qui est un morceau de maquereau farcis aux capres avec une mousse également réalisée avec les capres.



Quatrième acte, « Viande ». Pour créer une cassure dans les sensations, un demi-kumquat vous est servi avec un granité à base de mezcal, cette tequila plutôt fumée. 



Et pour suivre un plat qui fume ! Une boite avec quelques interstices depuis lesquels sorte une fumée provenant de résineux qui confèrent un délicieux goût à un ravioli confectionné de pâtes croustillante et de viande crue.



Le Garrofo (Haricot coco) est une coupelle dans laquelle l’on retrouve de délicieuses fèves dans un fond de sauce réalisé avec du pigeon avec même un foie de lapin qui se confond avec un haricot et un peu de menthe.



Un riz « Carnarolli » de canard, betterave et noisettes, très visuel par le coté rose et cuit selonl’état de l’art avec une base de volaille et le coté croquant des noisettes.



Associé à ceci, le foie ou cœur de pigeon ; une reconstitution dans un consommé.



Le chutney de manque est un beau dressage en forme de pétales de mangue avec un coulis dans chaque feuille. Le tout apporte une touche douce avant de passer aux desserts, le cinquième acte..



Granité de yoghourt avec de l’orange sanguine et de l’eau de rose. Le dessert selon moi parfait. Léger, pas trop sucré, légèrement acide.



Un pastisset de patate douce et un beignet de potiron. On peu douter a ce moment de la nécessité d’utiliser des ingrédients qui semblent être plutôt riches mais la Quique nous fait un tour de force en nous laissant une impression aérienne en bouche.



La cannelle en branche et pruneaux est un fait une reconstitution en chocolat d’un baton et que l’on associe a des pruneaux marinés.



Le sixième acte arrive avec « la boite magique ». Une association de mignardises tels qu’un macaron au chocolat, des pépites d’or, un marshmallow passion-chocolat.



Et l’on termine avec l’arbre de chocolats : Papier de yaourt framboise, enveloppe de fruits lyophilisés, caviar de chocolat…Le rêve s’achève…retour de la « moon » sur la terre…



Ce nombre de mets semble être a priori « un show », une manière de vouloir à tout prix démontrer son savoir faire, mais croyez-moi à jamais aucun moment je n’ai eu cette impression. Tout fut d’une incroyable justesse, d’une beauté insolente, d’un goût inoubliable, ce qui est vraiment remarquable car souvent nous oublions ce qui se passe sur nos papilles gustatives. Cette violence des saveurs marines contrastées avec les arrondis des fruits et légumes souvent adoucis nous a totalement séduits.

Quique Dacosta nous a servit un des plus beaux repas de notre vie, dans un cadre enchanteur, une atmosphère unique. Mémorable à tout jamais.

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