jeudi 12 avril 2012

Flocons de Sel, Megève


J’avais eu la chance de manger aux Flocons de Sel il y a bien longtemps lorsque le restaurant se trouvait en plein centre de Megève. A l’époque j’avais fortement été impressionné par cette cuisine lorgnant un peu du coté de Marc Veyrat mais qui commençait déjà à se distinguer par quelques belles créations. Les années ont passé et justice à été faite ; Emmanuel Renaut à reçu récemment son troisième macaron au Michelin pour l’édition 2012, qui signifie « cuisine exceptionnelle qui vaut le voyage »... Il est clair que depuis cette nomination remarquée (le seul nouveau 3 * en 2012), trouver une table relève de l’exploit… Les dieux étant avec moi aujourd’hui, j’ai trouvé « la table » en appelant le matin pour le soir…Comme quoi il faut toujours essayer !

Il est clair que mes attentes furent énormes surtout avec mes récentes émotions dans le sud de la France… mais Emmanuel Renaut n’est pas « un de plus » dans le firmament des grands cuisiniers de France et de Navarre… Je me rappelais d’une cuisine intensivement empreinte d’émotions montagnardes, d’une cuisine parfaitement maitrisée associant comme son « ex patron » Veyrat chez qui il travailla quelques années, les produits locaux de Haute-Savoie avec une imagination débordante.


C’est en fait un grand moment culinaire que nous avons vécu et presque sans aucune déception. Effectivement une cuisine construite autour des coutumes et savoirs faire montagnards mais complètement réinventée. Pas de superflus, pas d’esbroufe dans les assiettes…Que de la profonde réflexion en utilisant les produits simples du « coin ». Et quand je dis simple c’est à nouveau sans les sempiternels foies gras, homards et coquilles Saint-Jacques. Ici, pas de trois petites tâches sur l’assiette, pas de traînée savante style « j’ai dérapé » en cuisine…ni de « trois petites fleurs » pour faire joli. Il faut être un maitre pour faire cela…et cela se compte sur les doigts d’une main ! Ce n’est non plus pas de la cuisine, moléculaire, pas d’azote liquide, ni de formes biscornues nécessitant milles et unes manipulation. Mais attention, ce n’est pas simple ce que réalise Emmanuel Renaut…C’est en même temps presque évident dans le visuel (je devrais dire épuré), mais extrêmement réfléchi et complexe à réaliser. Probablement un nouveau style culinaire, ce qui n’es pas peu dire ! Mais tout d’abord, l’endroit…

Quelques kilomètres en dehors de Megève direction Rochebrune vous arriverez à cette grande maison-chalet ou vous serez accueillit par le voiturier. On vient vous chercher avec un parapluie, vous indique ou stationner et tout cela avec le sourire. Une fois dans l’établissement on vous suggèrera de prendre l’apéritif à l’étage supérieur et pourquoi pas en face de la cheminée. La structure du restaurant est sur plusieurs niveaux ; évidement du bois mais on ne donne pas dans le style « écurie chic » avec le coté clichés savoyard mais plutôt un bel équilibre entre le modernisme et néanmoins quelques objets rappelant la région ou nous sommes. Finalement en symbiose avec la cuisine que vous dégusterez.





A ce stade on réalise déjà combien le personnel est compétent et à l’écoute. Un des sommeliers (et je dis bien un des…) vous propose divers apéritifs et aimablement suggère quelques vins au verre. Après avoir sélectionné l’excellent Chignin-Bergeron de chez Adrien Berlioz Grand Zeph, nous voici amené quelques amuse-bouches qui immédiatement plantent le décor. Des beignets au lait fumé sur des branches de sapin, comme des cromesquis remplis de lait onctueux qui explosent en bouche.


Des tartelettes de farine de riz noir, radis, persil et autres légumes ; très beau et rafraîchissant.



Un surprenant et délicieux biscuit de Savoie aux herbes surmonté d’un tronçon de féra fumé ainsi qu’une tartelette avec une crème de féra citronnée et à la ciboulette.

Une fois votre choix fait pour votre repas vous descendrez deux niveaux afin de vous asseoir à votre table. Plusieurs salles juxtaposées dont certaines avec un haut plafond, quelques objets un peu insolites comme des « coucous » sur un mur, ou des tableaux en relief savoyard mais le style est plutôt contemporain.



Notre choix s’est porté sur le menu « randonnée au Leutaz » de neuf plats qui permet d’apprécier la cuisine du chef de manière plus exhaustive. Un menu où les plats principaux peuvent être choisis dans la carte comme d’ailleurs les desserts. Avant de démarrer ce repas on vous apporte une première mise-en-bouche pour « réveiller vos papilles », une cristalline de cèpes. Une fine feuille de sucre caramélisée en forme de champignon avec un fort goût de cèpes. Ce n’est pas la première fois que je déguste cette association sucre-champignon et trouve cela tout à fait remarquable. C’est beau, ludique et approprié.


Première entrée, des salsifis en fines lamelles légèrement fumées, lard poudre. Voici toute l’essence de cette cuisine ; des légumes découpés en julienne, blanchis, croquants et assaisonné avec le magnifique lard d’Arnard de la vallée d’Aoste. Des produits simples retravaillés dans les goûts et textures.


Pour suivre un grand moment, les premières asperges de Pertuis, tarte inversée noisette. Imaginez-vous une fine pâte sablée sur laquelle a été déposée une couche de pâte de noisettes et des asperges découpées en fines lamelles. L’association presque sucrée est une merveille ; c’est gourmand et très ingénieux. Presque à mi-chemin entre une entrée et un dessert !


Troisième plats, des morilles fraîches dans un sabayon de…Aie...je ne me rappelle plus sa composition, mais ces morilles d’origines turques, excellentes au demeurant étaient sublimées par la légèreté de leur sauce…Je vais essayer de me rappeler la composition de celle-ci….


Ensuite un autre plat phare de ce repas, des topinambours de chez Brunet en rosace, bouillon beurré clous de girofle, truffe des Alpes. A vrais dire je ne suis pas trop « légumes oubliés » mais quand l’on arrive à un tel niveau de perfection dans les goûts et textures…je m’incline. Cuisson en deux temps selon le maître d’hôtel ; goût d’artichaut et de noisette, avec une divine sauce montée avec un soupçon de clou de girofle et un râpage de truffes transalpines. Cela embaume, c’est goûtu…Magnifique !


Pour suivre, le premier élément animal, de l’omble chevalier du lac Léman par « Eric jacquier », pâte de citron et pommes de terre « céramique ». La magie opère à nouveau car ce poisson très fin est souvent un peu fade en bouche. Ici accompagné de deux sauces avec une base de citron, la première un bouillon monté au beurre et la seconde sous forme de sabayon. Ces pommes de terre « céramiques » au magnifique aspect ont une cuisson initiale à la vapeur qui se poursuit dans l’argile rendant le féculent très moelleux. Esthétiquement servies avec des pierres ! (la céramique à été enlevée au préalable). On alterne ces deux sauces, le sabayon étant associé au féculent. Un plat qui est très parfumé et dont le coté citronné met en valeur ce magnifique poisson.



Nous continuons avec peut-être le plat qui m’a laissé le plus indifférent ; des écrevisses moelleuses, jus des carcasses amandes et Campari. Servi dans un petit bol, diverses strates, le fond étant les écrevisses, des légumes imbibés de Campari conférant un coté un peu amer aux bouchées et au dessus un mélange œuf et crème battu. Ce qui m’a un peu gêné, c’est le coté unilatéral du goût. Il faut dire que l’écrevisse est très prononcée en bouche et accorder d’autres ingrédients reste une tâche compliquée.


En ce qui concerne le choix des viandes, nous avons opté pour l’agneau de lait cuit aux herbes, purée de céréales, jus parfumé au tilleul. Un agneau cuit à la perfection et parfumé, avec un magnifique dressage.


L’autre assiette fut le pigeon fermier rôti Foin et Genièvre, Pâte de Noisettes, les cuisses confites en Parmentier. Quand je dis l’autre assiette, en réalité il y en avait deux ; la première avec la volaille rosée allongée avec une purée de noisette, ingrédient d’ailleurs habilement réutilisé dans plusieurs préparations et la seconde comme un hachis Parmentier ; les cuisses décortiquées en couches avec une purée d’une extrême légèreté. Deux excellents plats principaux qui associent des saveurs des champs avec des produits de première qualité.


Un entremet non prévu sur le menu ; un mille feuille de légume accompagné d’huile de noisettes et de quelques lamelles de champignons. A base de carottes, épinards, pommes de terres finement tranchées, cuites à la vapeur, ré-assemblées, puis finies à nouveau dans un four vapeur. Tout simplement délicieux.


Les magnifiques fromages suivent, appelés « Les alpages sur un plateau » ; un choix extraordinaire de pâtes de Savoie et Haute-Savoie, tous affinés comme cela devrait toujours être le cas. Une mention tout à fait spéciale pour une tomme de Tignes et surtout l’extraordinaire Bleu de Termignon. Un fromage extrêmement rare (que 4 producteurs) de la Maurienne, à mi-chemin entre un bleu traditionnel plutôt du type Stilton, un goût un peu sucré comme certains gruyères et une consistance proche du gorgonzola. En fait les vaches broutent une herbe mycorhizée apportant ce coté de bleu au fromage. Exceptionnel !

Un extraordinaire pré-dessert partagé ; une meringue au lait d’alpage sur une compotée d’agrume. C’est magnifique, tout blanc..On casse la meringue, la crème de lait coule…on prend une cuillère avec les fruits…et l’on s’extasie…


« Les flocons de sucre », les desserts...au choix ! Le premier, un biscuit soufflé chaud aux goûts de montagne, celui-ci finalisé avec une compote de myrtilles et le second, probablement « mon dessert 2012 » car rarement j’ai eu l’occasion de déguster un dessert chocolaté aussi intelligent et aussi émouvant…Une tarte chaude au chocolat fumé, glace au bois et fine meringue. Imaginez vous que le chocolat a été conservé un certain temps dans un fumoir, capturant le gout de la fumaison, travaillé sur un fond de tarte ; une glace montée avec du lait dans lequel avait séjourné des copeaux de bois...Si ce n’est pas du génie cela ?




Le service est absolument parfait. Chaque personne pourra vous renseigner sur toutes les techniques utilisées par Emmanuel Renaut, ses idées, ses approches. A noter aussi que la connaissance des plats par les différents serveurs est surprenante ! Pour une fois…


Notre choix sur les vins s’est porté sur un Chignin-Bergeron Grand Orgue 2008 de chez Louis Magnin, fruité et très plaisant en bouche, suivi d’un Faugères Château des Estanilles Grande Cuvée 2005, un rouge soutenu qui livrait des goûts de fruits mûrs et d'épices.

Voici une expérience hors du commun permettant de découvrir de nouvelles approches culinaires dans une région moins réputées pour ses tables. Impossible de comparer la cuisine de Emmanuel Renaut avec d’autres grands chefs car cela serait une erreur. Il faut venir ici apprécier ses réalisations en « oubliant le reste », car c’est une cuisine inventive basée sur les produits locaux qui ont leur propre identité. Fantastique !

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